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Des drones de surveillance maritime endurants : pour quoi faire ?

Ces dimensions nécessitent des installations au sol bien plus importantes pour un HALE que pour un MALE, sans même parler du fait qu’un drone HALE ne peut pas être dérivé en version embarquée sur porte-­avions. Dès lors, un UAV HALE est intrinsèquement contraint d’opérer depuis un petit nombre de bases dispersées dans le monde. Pour autant, en raison notamment de ses performances dynamiques, de sa charge utile confortable et de sa capacité de génération électrique supérieure, le Triton a remporté le contrat de l’US Navy puis celui de la Royal Australian Air Force. Il est actuellement en service au sein des flottilles VX‑20, VUP‑11 et VUP‑19 de l’US Navy (respectivement dans le Maryland, dans l’État de Washington et en Floride) et le sera très prochainement dans la RAAF, au sein du Squadron 9, dans le sud de l’Australie.

Du côté des drones MALE, le modèle le plus représentatif du marché actuel est le MQ‑9B SeaGuardian, version maritime du MQ‑9B SkyGuardian
(Protector RG Mk1 dans la Royal Air Force), lui-­même dérivé du célèbre MQ‑9A Reaper. Avec la mise en œuvre du MQ‑9B SeaGuardian et la commande, en août, de deux appareils supplémentaires par les garde-­côtes du Japon, complétant les trois en service depuis 2022, General Atomics mène de nombreuses actions (démonstrations, expérimentations, exercices), notamment en Europe, pour promouvoir son système, mais n’a pas encore enregistré de contrat majeur, bien que l’acquisition de 15 vecteurs aériens soit en cours de négociation avec l’Inde et que Taïwan ait commandé quatre SeaGuardian, dont les deux premiers devraient être livrés en 2026.

Quel que soit le modèle considéré, l’investissement financier à consentir est important, bien qu’il soit difficile de connaître le prix réel d’un Triton ou d’un SeaGuardian. Les constructeurs diffusent peu d’informations sur les contrats et leurs périmètres (pièces de rechange, formation, maintenance…). De plus, le prix de vente aux États-Unis diffère sensiblement de celui proposé à l’exportation. En janvier 2020, l’Allemagne renonçait à acquérir le Triton, le budget étant jugé incontrôlable (7). Toutefois, la mise en sommeil du programme franco-­allemand MAWS (Maritime Airborne Warfare System) et la commande d’avions de patrouille maritime Boeing P‑8A Poseidon pourraient conduire à réviser cette décision. En effet, l’US Navy exploite déjà le Triton avec le P‑8A (contrôle à distance, échange de données). Alors que cet avion équipe également le Royaume-­Uni, la Norvège, l’Inde, l’Australie, la Nouvelle-­Zélande et prochainement l’Allemagne, le lien opérationnel avec le MQ‑4C pourrait relancer l’acquisition du Triton par certains de ces pays. Enfin, au coût élevé des systèmes d’USM il convient d’ajouter celui des liaisons satellites (contrôle et exploitation) associées ainsi que celui des infrastructures de mise en œuvre spécifiques (piste d’aérodrome, hangar, protection…).

EuroDrone : une solution USM pour l’Europe ?

Les constructeurs américains occupent une place dominante dans le marché naissant des USM. Mais qu’en est-il des productions ou des projets européens dans ce domaine ? Si le drone portugais Tekever AR‑5 est d’ores et déjà exploité par l’Agence européenne de sécurité maritime (8), il ne peut être considéré comme un drone MALE en raison d’une endurance et d’une charge utile réduites. Même chose pour le Patroller du français Safran qui, bien qu’il soit parfois exposé par l’industriel avec des charges utiles maritimes (radar, AIS, etc.), n’est pas à proprement parler un drone MALE. L’entreprise française Turgis & Gaillard pourrait proposer à la Marine nationale son MALE Aarok, présenté en 2023 au Bourget en version ISR armée, comme un futur USM. Dans l’attente d’un premier vol, ce projet prometteur comporte encore trop d’inconnues pour pouvoir être analysé dans ces lignes. En Italie, Piaggio a un temps cherché à commercialiser une version dronisée de l’avion d’affaire Avanti, l’Hammerhead, qui aurait été optimisé pour la surveillance côtière et maritime, mais le projet semble avoir été abandonné après le crash du prototype. Leonardo, de son côté, semble proposer son drone MALE léger Falco Xplorer avec quelques charges utiles adaptées au milieu maritime, mais sans que ce drone soit spécifiquement adapté à cette tâche. Indépendamment de l’état de leur développement, ces solutions nationales reposent sur des plateformes globalement moins performantes que le SeaGuardian américain, sans même parler du Triton. Dès lors, face aux productions américaines, il est sans doute nécessaire d’étendre notre comparaison à une version maritime de l’EuroDrone, dont la version aéroterrestre ISR est en cours de développement.

L’EuroDrone, aussi désigné MALE RPAS (Remotely Piloted Aircraft System), est développé conjointement par Airbus, qui assure le rôle de maître d’œuvre, Dassault Aviation et Leonardo. Le programme est géré par l’OCCAR (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement) pour quatre pays (Allemagne, France, Italie et Espagne).

Il est difficile de comparer un système en service, adapté à la surveillance maritime, comme le Triton, et une version restant à définir d’un système en cours de développement, l’EuroDrone. Toutefois, la plateforme de ce dernier, ses performances (vitesse, charge utile…) et le choix d’une propulsion bimotrice en font une bonne base de développement pour un futur USM. De plus, l’Europe, dotée d’une BITD étoffée, dispose des industriels capables de concevoir et de produire un tel système équipé de capteurs et effecteurs performants et souverains (9).

L’EuroDrone, qui sera certifié en Europe, disposera d’une masse maximale de 11 t et de deux turbopropulseurs, ce qui devrait positionner ses performances générales entre celles du SeaGuardian et celles du Triton. Son premier vol est prévu en janvier 2027. Les premières livraisons sont destinées à l’Allemagne à partir de 2030, et au-delà pour les autres participants. Le programme prévoit un total de 20 à 24 systèmes, dotés chacun de trois vecteurs aériens, soit une flotte européenne de 60 à 72 vecteurs, à comparer aux 68 MQ‑4C de l’US Navy. Le coût du programme est estimé à 7 milliards d’euros.

Le développement d’une version maritime de l’EuroDrone – ou même de charges utiles optionnelles, mais spécifiques à cette mission – n’est actuellement pas entériné. Il pourrait intervenir après l’entrée en service de la version d’origine, ce qui supposerait une livraison à l’horizon 2040. Au-­delà des pays engagés avec l’OCCAR pour la version actuelle, il convient encore d’identifier les partenaires européens susceptibles d’être intéressés par une version aéromaritime, de s’accorder sur ses spécifications ainsi que sur une répartition des tâches industrielles (vecteurs aériens, capteurs, etc.). La définition d’un calendrier de production destiné à répondre aux enjeux stratégiques et de sécurité, ainsi que celle d’un budget adapté constituent des points cruciaux.

Les Européens ne peuvent faire l’économie d’un système de ce type. Les forces armées allemandes viennent d’ailleurs d’exprimer le besoin d’un système de systèmes, notamment capable d’assurer la gestion et l’échange d’informations maritimes pour épauler ses P‑8A Poseidon, et plus largement soutenir les opérations dévolues à la patrouille maritime. Dès lors, faut-il se résigner à acquérir des systèmes américains, voire israéliens, immédiatement disponibles ?

À propos de l'auteur

Christophe Pipolo

Contre-amiral (2S), directeur de recherche au cabinet de synthèse stratégique La Vigie (www.lettrevigie.com).

À propos de l'auteur

Marc Grozel

Capitaine de frégate (R), expert drones (terre, air, mer et espace) pour Affinis Défense.

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