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Marrakech en images : destinées d’une cité touristique

Les riads : de maisons autochtones en lieux d’expériences

À la suite de celui de personnalités de la jet-set ayant acquis, dès les années 1960, un pied-à-terre dans la cité, l’engouement de populations exogènes pour la ville va connaître un tournant dans la décennie 1990. Un nombre croissant d’étrangers (Européens pour la plupart, Français en particulier) va y investir en acquérant des maisons de la médina. Désormais, il s’agit de valoriser ces biens en les transformant en maisons d’hôtes. La diffusion sur la chaîne M6 en 1999 d’une émission de la série « Capital » sur les riads et leur prix abordable semble avoir amplifié le phénomène. À présent, selon l’Association des maisons d’hôtes de Marrakech, la cité compte plus de 1 200 riads hôteliers, soit un quart de l’offre d’hébergement.

Si l’on trouve des riads dans d’autres villes marocaines, c’est à Marrakech qu’ils sont les plus nombreux et que ce choix de logement prévaut, et c’est cette même cité, première destination nationale en termes de nuitées touristiques, qui en a lancé la formule. La topographie de la médina est ponctuée de riads, lesquels colonisent nombre de derbs, ruelles et impasses à fonction résidentielle où, autrefois, il n’y avait pas d’activités économiques et où les visiteurs étaient rares. Cette situation se rend visible en certains quartiers, notamment celui de Bab Doukkala. Dans ce périmètre, où la présence des riads transformés est déjà ancienne, le processus est toujours vivace. Plus aucun derb qui ne compte des riads aux nouvelles affectations (hôtels, restaurants, hammams, lieux culturels ou résidences secondaires), chaque ruelle révélant des chantiers à divers stades d’avancement. La clientèle touristique internationale est friande des riads, suggérés comme de véritables expériences culturelles singulières à référent spatial, des situations de découverte combinant la révélation d’un pays à éthos prononcé (le Maroc), d’une cité historique (Marrakech), d’un espace emblématique (la médina), d’un habitat traditionnel (le riad). « Faire l’expérience de la vie en médina », c’est cette notion magistrale de la « vie locale », accessible dans le riad qui est la valeur ajoutée de ces formules.

La médina de Marrakech est au cœur de l’économie touristique de la ville. © Shutterstock/Elzbieta Sekowska

De plus, le riad est un objet permettant d’accentuer la dimension féérique et orientale de la cité et d’invoquer la référence convenue aux Mille et Une Nuits. L’appellation « riad » est utilisée de manière générique, en vertu de son caractère valorisant et de sa connotation typique, par nombre d’hôtels qui ne sont pas des riads au sens littéral, l’étymologie du terme renvoyant à des habitations construites autour d’un patio-jardin central. Résultant d’une fabrique allogène visant principalement une clientèle exogène, ces propositions atypiques d’hébergement typiques font partie intégrante de l’image de la destination Marrakech. Considérés de plus comme éléments avérés de son patrimoine, les riads sont positionnés dans le dispositif des ressources de la ville et participent de son attractivité. Ainsi, le terme de « riad » est désormais un vocable entériné du glossaire touristique mondial.

© Shutterstock/Alexey Pevnev

Néanmoins, au Maroc, le phénomène tenu par des étrangers est parfois disproportionnellement médiatisé au regard de son importance quantitative, peut-être du fait de ces incidences et de leur signification symbolique. Autre interprétation subjective, celle du jeu de la mise en visibilité réciproque induite par leurs aménagements, notamment ceux effectués sur les terrasses (solariums, jacuzzis, piscines et espaces de détente), qui ne sont pas toujours du goût des Marrakchis voisins, dont la vie intime peut, de plus, être observée depuis là. Le chassé-croisé des regards est problématique. Ne pas être vu chez soi, et ne pas être en mesure de voir ce qui ne doit pas être vu, participe des codes du respect mutuel et est un souhait verbalisé par l’intermédiaire de plaintes abondant en ce sens.

La mythique place Jemaa el-Fna, hypnose urbaine

Destin singulier que celui de ce site composite qui fut une sorte de no man’s land entre plusieurs espaces de la médina et devint l’icône de l’urbanité de la ville. Noyau de l’imaginaire de l’intra-muros, la place Jemaa el-Fna en est le symbole. Elle polarise la fréquentation des touristes, en tant que seuil de la médina, de ses ressources, de ses traditionnels souks et, in fine, en tant qu’espace-objet situé à la croisée des processus conjugués de patrimonialisation matérielle et immatérielle, qu’elle condense en un paysage de synthèse. Là, les touristes viennent voir Marrakech au prisme de la place, les réalités augmentées de cette dernière, et les Marrakchis présents, qui eux-mêmes viennent les observer, profitent de la place, des spectacles, des musiciens, conteurs et charmeurs de serpents. Les lieux de prédilection pour saisir une vue panoramique de la place déployée et de ses animations sont les étages des cafés la bordant, qui permettent de l’appréhender comme un spectacle et de l’observer de manière conforme à ses images dominantes et récurrentes, celles des cartes postales, généralement des vues à vol d’oiseau. Depuis la période coloniale, l’itinéraire touristique classique de la cité s’amorce et s’achève… place Jemaa el-Fna.

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