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Les Ouïghours dans la « guerre diplomatique » sino-occidentale

En mars 2021, l’Union européenne (UE) a adopté, pour la première fois depuis 1989 et le massacre de Tiananmen, des mesures de rétorsion visant plusieurs dignitaires du régime chinois en raison des violations des droits de l’homme commises au Xinjiang contre les Ouïghours et d’autres minorités. Quelle est la portée de ces sanctions ?

A. Bondaz : Les sanctions votées à l’unanimité le 22 mars par les États membres de l’UE ont été prises dans le cadre du « régime mondial de sanctions en matière de droit de l’homme » (parfois qualifié d’« acte Magnitski* à l’européenne »), adopté en décembre 2020 par les institutions européennes et qui les autorise à prendre des sanctions contre des personnes et des entités considérées comme responsables de violations des droits de l’homme. Elles ont ainsi visé la Chine, mais aussi la Corée du Nord, la Libye, la Tchétchénie, la Russie, le Soudan du Sud et l’Érythrée (1).
Pour le Xinjiang, ces mesures touchent quatre leaders politiques de la région autonome (RAOX) considérés comme responsables de la mise en œuvre de la répression — à l’exclusion notable du principal dignitaire du Parti communiste de la RAOX depuis 2016, Chen Quanguo, connu pour en être le principal artisan et visé par des sanctions américaines —, ainsi que le Corps de production et de construction du Xinjiang (le fameux « Bingtuan »). Concrètement, elles consistent à interdire à ces fonctionnaires tout déplacement sur les territoires européens et à geler leurs éventuels avoirs en Europe. Bien qu’elles aient un vrai poids symbolique et politique, ces sanctions restent très limitées dans les faits, et n’auront pas d’impact réel sur la situation sur place.

Cependant — et c’est là l’essentiel —, les États membres de l’UE ont démontré que, sur un sujet politique très sensible, ils étaient capables de trouver un consensus et de faire bloc, et ce malgré les efforts de Pékin pour l’éviter. On voit bien cet activisme chinois pour s’assurer d’une capacité de blocage en se rapprochant de tel ou tel pays européen, comme avec la Hongrie ces derniers mois, ce qui a permis de bloquer une résolution portant sur la situation à Hong Kong. Ce consensus est donc à même d’inquiéter la Chine.

Sur la question de l’adoption de sanctions économiques ciblées, à l’image de l’interdiction d’importations de tomates et de coton en provenance du Xinjiang décidée le 13 janvier 2021 par Washington, il n’y a aucun consensus au niveau européen. Cependant, et c’est ce qui importe à mes yeux, un débat de fond est lancé sur le « devoir de vigilance » des entreprises, c’est-à-dire le fait de les rendre juridiquement responsables des violations des droits de l’homme et des dommages à l’environnement commis dans leurs chaînes de production (2). Si ce principe était adopté au niveau européen (il l’est déjà en partie en France depuis 2017), cela pourrait se traduire par des mesures concrètes pour l’ensemble des entreprises chinoises profitant du marché européen, et pas simplement celles concernées par les violations de droits de l’homme au Xinjiang.

Dans quelle mesure les dispositions européennes ont-elles été coordonnées avec d’autres pays occidentaux ? La plupart des mesures américaines ont été prises par l’administration Trump juste avant son départ. Qu’est-ce qui a changé sur ce dossier avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche ?

La coordination au niveau international n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, que ce soit à l’Assemblée générale ou au Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies (ONU), des déclarations et des résolutions sur la situation au Xinjiang ont été adoptées par plusieurs pays : une grande partie des pays européens, les États-Unis, le Canada, le Japon, etc.

L’administration Trump aurait évidemment souhaité mettre en scène cette coordination internationale — parce qu’il y en avait une, mais cela était évidemment compliqué, car les partenaires européens n’avaient pas d’intérêt à s’afficher aux côtés du président américain.

À l’inverse, cette coordination est aujourd’hui facilitée par une administration Biden souhaitant renouer des liens solides avec les alliés et partenaires des États-Unis en Indo-Pacifique et en Europe. L’annonce des sanctions européennes du 22 mars a par exemple été suivie, le même jour, par des annonces similaires de la part du Royaume-Uni, mais aussi des États-Unis, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, preuve d’une étroite coordination.

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