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Reportage en Afghanistan : un an après le retour des talibans

Après la fausse promesse des talibans de former un gouvernement « inclusif » et de respecter le droit des femmes, les restrictions s’accumulent. Dans quelle mesure leurs droits sont-ils bafoués ? Comment ce recul se traduit-il au quotidien ?

La régression des droits des femmes est mal vécue, notamment au centre de Kaboul parmi les classes plus éduquées qui avaient goûté à une émancipation partielle entre 2001 et 2021. Début mai 2022, dans un décret, le ton est donné par le chef suprême taliban de l’émirat islamique d’Afghanistan Hibatullah Akhundzada : « Les femmes devraient porter un tchadri [autre nom de la burqa], car c’est traditionnel et respectueux […] Elles devraient voiler leur visage quand elles font face à un homme qui n’est pas membre de leur famille pour éviter la provocation », précisant que le niqab (où les yeux sont apparents) est toléré. Certes, si la burqa n’est pas légalement et explicitement obligatoire, le décret la recommande fortement. Dans les rues, la pression psychologique est renforcée par l’apparition grandissante d’affiches officielles du ministère pour la Promotion de la vertu et la Répression du vice incitant au port de la burqa ou du niqab.

Le voile intégral était tout particulièrement répandu dans les régions sud et est, où l’influence talibane est historique et où l’ethnie pachtoune est majoritaire. Certaines des zones rurales sont empreintes du patriarcat véhiculé par le Pachtounwali, un code d’honneur coutumier vieux de deux mille ans qui, outre certaines valeurs très nobles (2), est tout aussi rigoriste que les plus rudes interprétations de la charia s’agissant des droits des femmes, exigeant la stricte séparation des sexes, la dissimulation du visage en dehors de la sphère privée, la non-éducation des femmes et de lourds châtiments en cas d’entorses. Les normes talibanes dénaturent l’islam en s’inspirant du Pachtounwali mais aussi du deobandisme (3), lui-même influencé par le wahhabisme.

Désormais, depuis un an, hommes et femmes sont séparés dans l’espace public. L’application de ce principe se traduit, entre autres, par des parcs réservés selon les jours aux hommes puis aux femmes, ou par l’interdiction de s’adresser à une Afghane dans la rue, à l’exception des épouses et des femmes de la famille. Quant à l’enseignement, les collèges et lycées sont toujours fermés pour les jeunes filles. Les écoles primaires et les universités demeurent ouvertes, avec une séparation stricte des sexes, des jours étant là aussi réservés aux femmes. Aucune interdiction légale n’est en vigueur dans le secteur privé. Pourtant, dans la pratique, l’accès est souvent entravé, les femmes étant invitées par un décret à « rester à la maison » et à ne sortir qu’en cas d’absolue nécessité. Selon les témoignages récoltés, toutes ces restrictions affectent les revenus des ménages, préalablement fragilisés par le chômage des hommes, ou parfois par la disparation de ces derniers du foyer après leur assassinat par les talibans.

<strong>Ressources minières en Afghanistan</strong>

Comme vous l’avez évoqué, le contrôle du territoire par les autorités aurait engendré une nette amélioration de la sécurité sur l’ensemble du pays. Comment les forces talibanes sont-elles déployées ?

L’hyper-sécurisation menée par les talibans a conduit à une baisse considérable de la criminalité de droit commun et l’arrêt de la guerre de résistance a permis le retour d’une certaine circulation, comme sur l’axe Kaboul-Bamiyan, que j’ai emprunté via la province de Wardak et qui était auparavant impraticable du fait des combats.

Au niveau opérationnel, les talibans sont divisés en trois corps, à savoir l’armée, la police et les renseignements. Tous reposent sur une hiérarchie structurée et incluent de nombreux fonctionnaires de l’ancien gouvernement continuant, pour des raisons économiques et de sûreté, à servir le pouvoir. L’importante base de volontaires, constituée de jeunes travaillant bénévolement, facilite également le contrôle du territoire.

L’Afghanistan des talibans face aux insécurités

<strong>L'Afghanistan des talibans face aux insécurités</strong>

En parallèle, le gouvernement entend créer une grande armée nationale. Mais pour cela, il aura besoin de soldats expérimentés issus de l’ancien gouvernement, en plus de nouvelles recrues qui pourraient inclure des Afghans du Pakistan. Sur le plan matériel, l’émirat a hérité de plus de 7 milliards de dollars de matériel militaire américain (avions A-29 Super Tucano, hélicoptères Black Hawk, lance-roquettes, véhicules blindés, fusils d’assaut, drones), selon le département de la Défense américain.

Les locataires du palais présidentiel à Kaboul se targuent d’avoir vaincu l’État islamique au Khorassan. Pourtant, le groupe djihadiste continue de faire les manchettes. Comment la menace est-elle perçue et combattue ?

S’agissant du terrorisme, la branche locale de Daech, l’État islamique au Khorassan (EIK), est une organisation concurrente et ennemie des talibans. Né au Pakistan en janvier 2015 dans l’agence d’Orakzai, l’EIK s’est progressivement implanté dans l’Est de l’Afghanistan. Entre 2015 et 2021, les armées américaine et afghane et surtout, parallèlement, la résistance talibane, ont intensément combattu l’EIK. J’ai pu me rendre sans encombre à Jalalabad et m’entretenir en privé avec le Dr. Bashir, chef du renseignement de Nangarhar, l’interrogeant sur la menace de l’EIK. L’EIK a profité de l’instabilité du pays lors du retour des talibans pour tenter de reprendre pied mais, malgré une transition violente — qui s’est par ailleurs relevée aux yeux du monde lors de l’attentat à l’aéroport de Kaboul —, la situation a été progressivement maîtrisée par les talibans.

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