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Dopage et politique : la « crise russe » et l’avenir du mouvement olympique

Contrairement à la Chine populaire qui a tenté de redorer son image entachée par une affliction de tests positifs de ses athlètes dans les années 1990 en adoptant une stratégie de soumission aux contrôles de l’AMA (8), la Russie, surtout depuis la présidence de Vladimir Poutine, a fait le choix d’une posture beaucoup plus arrogante et axée sur la confrontation. L’argument de la russophobie, du diktat américain sur les autorités sportives et de la volonté de rabaisser la Russie sur la scène mondiale s’insèrent bien dans une stratégie globale de remise en question de l’ordre mondial de l’après-guerre froide.

Toutefois, la crise du dopage s’est développée comme un effet pervers de la stratégie russe de soft power sportif, qui inclut bien sûr les jeux de Sotchi, les plus coûteux de l’histoire olympique, mais aussi les Jeux universitaires (Universiades) de Kazan de 2013 qui entraînèrent la rénovation ou la construction de plus de 27 installations sportives, la Coupe du monde de la FIFA de 2018 et la mise en place du Grand Prix de Russie à partir de 2014. Même si, au moment des évènements eux-mêmes, le gouvernement russe a atteint son objectif de montrer que la Russie était un pays sorti de la crise des années 1990 et fort capable d’organiser des manifestations sportives de grande ampleur, et même d’impressionner par leur démesure, leur bénéfice en termes de prestige à moyen terme a nettement diminué avec la « crise du dopage ». Le pouvoir russe avait aussi, peut-être, surestimé sa capacité à camoufler ces violations comme au temps de la défunte Union soviétique. La Russie de Vladimir Poutine a d’ailleurs fini par se plier aux exigences de l’AMA et accepter son exclusion des prochains grands évènements. Finalement, on peut se demander si tout le soft power sportif du régime de Vladimir Poutine en valait vraiment la peine.

Certains observateurs, et parmi les plus médiatisés, voient en lui un régime « fatigué », en manque d’inspiration (9). Sans être aussi hardi dans nos projections, il est tout à fait possible que la stratégie russe du soft power, sport inclus, soit progressivement abandonnée au profit d’une approche plus traditionnelle sur les questions géopolitiques, sans que Moscou modifie pour autant son discours sur la multipolarité (10).

La lutte contre le dopage a été et continue d’être un combat de longue haleine qui n’a été couronné de succès qu’assez tardivement, si l’on regarde l’histoire olympique dans sa longue durée. Il a fallu de gros scandales pour qu’elle s’intensifie et se perfectionne. À court terme, la Russie de Vladimir Poutine n’est pas la seule à avoir perdu beaucoup dans cette crise. Les autorités internationales que sont le CIO et l’AMA ont fait augmenter les attentes du public, par leur discours sur l’éthique du sport. Et les deux instances n’ont désormais pas d’autre choix que de continuer la politique du bâton, même s’ils pourraient être enclins à privilégier la diplomatie. À l’égard des principes fondamentaux de l’olympisme tels que définis par Pierre de Coubertin, l’amateurisme a disparu dans le sillage de la « révolution Samaranch » enclenchée dans les années 1980, qui a ouvert la porte, progressivement, aux professionnels. Malgré la fin de la guerre froide, l’apolitisme est, quant à lui, remis en cause à chaque édition des Jeux et la variété des causes invoquées, louables ou non, ne semble pas se tarir. Reste ce grand principe du « fair-play », bannissant tricherie et dopage, qui ne peut être abandonné sous peine de voir le mouvement olympique traverser une crise encore plus grave que celle du dopage russe.

Lexique
Fair-play : conduite honnête dans un jeu, qui implique tout à la fois le respect de l’adversaire et des règles, des décisions de l’arbitre, du public et de l’esprit du jeu, ainsi que la loyauté, la maîtrise de soi et la dignité, dans la victoire comme dans la défaite.

En collaboration avec :

Notes

(1) Patrick Clastres, « Performance sportive et prouesse olympique selon Pierre de Coubertin », Les Cahiers de l’INSEP, no 46, 2010, p. 196.

(2) Barrie Houlihan, La victoire à quel prix ? Le dopage dans le sport, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 2003, p. 36.

(3Ibid., p. 48-49.

(4Ibid., p. 13.

(5) « The Independent Commission Report #1, Final Report », pour le président de l’Agence mondiale antidopage, 9 novembre 2015 (https://​www​.wada​-ama​.org/​s​i​t​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​/​f​i​l​e​s​/​r​e​s​o​u​r​c​e​s​/​f​i​l​e​s​/​w​a​d​a​_​i​n​d​e​p​e​n​d​e​n​t​_​c​o​m​m​i​s​s​i​o​n​_​r​e​p​o​r​t​_​1​_​e​n​.​pdf).

(6) Richard H. McLaren, « WADA investigation of Sochi allegations, The Independent Person Report », première partie du rapport pour le président de l’Agence mondiale antidopage, 18 juillet 2016 (https://​www​.wada​-ama​.org/​s​i​t​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​/​f​i​l​e​s​/​r​e​s​o​u​r​c​e​s​/​f​i​l​e​s​/​2​0​1​6​0​7​1​8​_​i​p​_​r​e​p​o​r​t​_​n​e​w​f​i​n​a​l​.​pdf)

(7) WADA, « World Anti-Doping Program, 2018 Anti-Doping Rule Violations (ADRVs) Report » (https://​www​.wada​-ama​.org/​s​i​t​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​/​f​i​l​e​s​/​r​e​s​o​u​r​c​e​s​/​f​i​l​e​s​/​2​0​1​8​_​a​d​r​v​_​r​e​p​o​r​t​.​pdf).

(8) Tien-Chin Tan, Alan Bairner et Yu-Wen Chen, « Managing Compliance with The World Anti-Doping Code: China’s Strategies and Their Implications », International Review for the Sociology of Sport, vol. 55, no 3, mai 2020, p. 251-271.

(9) Mark Galeotti, We Need to Talk about Putin. How the West Gets Him Wrong, Londres, Penguin, 2019, p. 123-143.

(10) Vera D. Ageeva, « The Rise and Fall of Russia’s Soft Power », Russia in Global Affairs, vol. 19, no 1, janvier-mars 2021 (https://​eng​.globalaffairs​.ru/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​r​i​s​e​-​f​a​l​l​-​r​u​s​s​i​a​s​-​s​o​f​t​-​p​o​w​er/).

Légende de la photo en première page : Les trois fondeurs russes qui ont remporté l’or, l’argent et le bronze dans le 50 km des Jeux olympiques d’hiver à Sotchi, en Russie, posent sur le podium pour la cérémonie de clôture, le 23 février 2014. Convaincus de dopage à la suite des révélations de l’ancien responsable du laboratoire antidopage de Moscou, Grigori Rodchenkov, ils ont été blanchis par le Tribunal arbitral du sport avant les JO de 2018. Mais ce triplé avait éveillé à l’époque de nombreux doutes sur l’existence d’un véritable système de dopage dans le sport russe. (© Iurii Osadchi/Shutterstock)

<strong>Pour aller plus loin...</strong>
Article paru dans la revue Diplomatie n°110, « Ouïghours : La Chine et ses nationalités… », Juillet-Août 2021.
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