Magazine Moyen-Orient

La crise électrique du Liban : une lecture géographique

L’électricité libanaise, otage de la géopolitique régionale

À ces deux mécanismes géographiques internes expliquant la crise électrique libanaise s’ajoute un mécanisme jouant à l’échelle régionale. Les faibles ressources énergétiques nationales du Liban le rendent dépendant des importations d’hydrocarbures, qui assurent 95 % de son énergie primaire. Cette situation expose le pays à une grande vulnérabilité géopolitique, doublée par la crise financière d’une dimension économique, la dévaluation de la monnaie se traduisant tant pour EDL que pour les consommateurs par une inflation énorme des coûts d’importation, les excluant du marché.

Les plans de reconstruction du secteur électrique prévoyaient une diminution des coûteux achats de fioul lourd et de diesel, nécessaires aux anciennes centrales peu efficaces. Mais divers facteurs ont retardé cette évolution et les nouvelles centrales à cycle combiné prévues pour utiliser du gaz durent être adaptées pour brûler du fioul lourd. En premier lieu, jusqu’en 2005, une partie de ces combustibles provenait de Syrie, et leur exportation profitait à de hauts gradés syriens qui se servaient de la position de force de leur armée pour garder ce marché lucratif. Par ailleurs, les délais de réalisation du gazoduc arabe retardaient l’importation par le Liban de gaz syrien ou égyptien. Ce n’est qu’en 2009 que ces livraisons commencèrent, mais elles furent régulièrement bloquées en raison de conflits entre les ministères de l’Énergie et de l’Eau et celui des Finances, retardant le paiement par le Liban de ses factures. À partir de 2011, le sabotage du gazoduc en Égypte par des terroristes, puis la guerre en Syrie ont empêché le Liban d’avoir accès au gaz naturel. Durant cette période, les importations de fioul lourd se sont poursuivies, creusant d’autant le déficit d’EDL, au milieu de multiples scandales de corruption.

Depuis 2021, en parallèle de la relance de projets de construction de centrales, le gouvernement a négocié avec ses voisins pour assurer l’achat des combustibles et d’un complément de courant électrique. L’approvisionnement en gaz devrait venir d’Égypte par gazoduc. Des importations d’électricité depuis la Jordanie, qui est excédentaire, sont également prévues. Dans les deux cas, il faut utiliser des infrastructures traversant la Syrie et donc payer des droits de passage à ce pays.

La mise en œuvre de cet accord dépend de plusieurs conditions. La Banque mondiale pourrait débloquer un financement, sous réserve de réformes de la gouvernance d’EDL (régulateur indépendant, transparence des contrats publics, hausse des tarifs). Par ailleurs, la Syrie est sous le coup d’un embargo décidé par le Congrès des États-Unis. Malgré les assurances orales de Washington, tout reste en suspens. Les Américains conditionneraient l’accord sur le gaz égyptien et sur l’électricité jordanienne à l’acceptation par le Liban d’un compromis permettant à Israël d’exploiter le gaz du champ de Karish, sur la frontière maritime disputée entre les deux pays. Beyrouth envisage par ailleurs l’importation de gaz avec des unités de conversion du gaz naturel liquide (GNL). Mais l’implantation de l’unité prévue à Selaata est controversée.

La dépendance du Liban aux importations d’hydrocarbures est un facteur de vulnérabilité face aux pressions de ses voisins comme de puissances impliquées dans le jeu politique régional. Cette dépendance a aussi un volet financier, sensible dans le contexte actuel de dévaluation et de faillite de l’État libanais et de son entreprise nationale d’électricité, privée de revenus et donc incapable d’acheter les combustibles nécessaires. Le pays ne pourra se passer à moyen terme d’importations de gaz. Peut-être pourra-t-il toutefois un jour compter sur l’exploitation des gisements situés dans ses eaux territoriales et qui agitent la classe politique. Cette dernière y voit une solution à tous les problèmes. Pourtant, la valorisation de ce potentiel gazier restera dépendante d’enjeux géopolitiques. La délimitation frontalière et, à terme, la rentabilisation de l’exploitation par l’exportation de ces ressources (donc la conclusion d’accords avec les voisins) comme la sécurisation des investissements constitueront des questions à résoudre.

Israël-Liban : du gaz à partager

Les énergies renouvelables, nécessaires mais insuffisantes

Dans ce contexte délétère, le Liban dispose de ressources en énergie renouvelable peu valorisées. L’hydroélectricité est exploitée depuis les années 1960. Les projets de modernisation des barrages et des turbines ne constitueront qu’une contribution limitée à la demande non satisfaite (+ 112 mégawatts ou MW). Le plan de relance électrique publié en mars 2022 envisage une augmentation de capacité de plus de 4 000 MW à l’horizon 2026, pour une capacité effective en 2018 de 1 500 MW.

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